Peregrini - Marino 400

Le projet Peregrini – Marino 400 a pour vocation d’explorer le répertoire baroque italien de la première moitié du 17ème siècle, en suivant les traces du poète Giambattista Marino (1569-1625) dont les œuvres ont laissé une empreinte profonde chez les compositeurs de son temps et de la génération suivante. L’année 2025 marquera l’anniversaire des 400 ans de sa mort : une belle occasion de s’immerger dans le riche patrimoine littéraire et musical de l’Italie baroque !

Les madrigaux et les opéras créés à cette époque témoignent de l’ambition d’associer les sons et le sens, de faire coïncider la parole poétique et la musique. Cette intense recherche rhétorique et expressive a donné lieu à des chefs-d’œuvre bien connus du grand public, au premier rang desquels figurent les réalisations de Claudio Monteverdi, mais aussi à une myriade de publications plus confidentielles qui recèlent pourtant bien des trésors, à condition d’apprendre à les déchiffrer.

C’est à cette redécouverte que se consacrent depuis une dizaine d’années Alice Fagard et Adrien Alix, tels des pèlerins en quête de savoirs occultes. Afin de réaliser cet idéal d’intelligibilité du vers sublimé par sa mise en musique et de donner une vitalité nouvelle à ces œuvres lointaines, ils n’hésitent pas à faire appel aux moyens expressifs d’aujourd’hui (vidéo, instruments électroniques, répertoire moderne en contrepoint) et à élargir leur gamme d’interventions au-delà de la forme traditionnelle du concert : spectacle masqué, ateliers de conversation poétique, cabinet de curiosité numérique...

Giambattista Marino

Leoni ritratto di marino 1614

Né à Naples en 1569, il exerce dans diverses cours et villes italiennes où ses audaces lui valent autant d’adorateurs que d’ennemis. Il arrive en France en 1615 à l’invitation de Marie de Médicis ; il y restera huit ans, jusqu’à la publication de son ultime chef-d’œuvre, Adone, avant de revenir dans sa ville natale où il s’éteint en 1625. Le classicisme triomphant fera alors de Marino l’emblème d’un goût baroque excessif et précieux, si bien qu’il faudra attendre la deuxième moitié du 20ème siècle pour que son œuvre soit reconsidérée.

Les musicologues ont recensé plus d’un millier de compositions sur les poèmes de Marino : Frescobaldi, Schütz, Kapsberger ou Sigismondo D’India, Carissimi et Stradella un peu plus tard et même Sébastien de Brossard, pour ne citer que les plus célèbres, tous ont mis en musique Marino dans une grande variété de genres, du madrigal polyphonique à 5 voix au style récitatif le plus déroutant en passant par la cantate. Certains poèmes, particulièrement denses et imagés, ont donné lieu à une vingtaine de versions musicales !

Pour en savoir plus : la Pause thèse du 20 juillet 2023, une émission estivale de France Musique animée par Christophe Dilys, est consacrée aux recherches d'Adrien Alix sur Giambattista Marino et la poésie en musique du premier baroque.

Adonis. Mascarade

La figure d’Adonis est très présente dans l’univers littéraire et pictural de l’époque baroque. Ce mythe du beau jeune homme amant de Vénus, la laissant éplorée lorsqu’il meurt transpercé par la défense d’un sanglier, est riche en résonances contemporaines : la question de la beauté-objet, ici au masculin, y rencontre celle des passions destructrices et des cycles de vengeance.

Le spectacle Adonis. Mascarade met le personnage à l’honneur, principalement à travers L’Adone de Giambattista Marino. Autour des épisodes du mythe s’entrelacent des madrigaux et scènes lyriques du premier 17ème siècle italien, de la plume de compositeurs tels que Mazzocchi, d’India ou Carissimi.

Ce théâtre musical sera porté par trois voix et des instruments baroques, auxquels s’adjoindront les ressources poétiques offertes par l’électronique : tandis que le synthétiseur apportera au continuo une riche palette de couleurs, des samples pré-enregistrés pourront faire irruption, comme pour exprimer le trouble de l’âme. À ces voix s’ajoutera celle de la comédienne Simona Morini, également chanteuse traditionnelle, issue d’un théâtre populaire qui privilégie une adresse frontale au public.

Plusieurs procédés artistiques seront convoqués pour accompagner la réception : traduction parlée ou chantée, mais aussi projection de surtitres intégrée au dispositif scénique, où la graphie serait vectrice de sens tout autant que les mots.

La scène, habillée de toiles tendues, sera également habitée de masques fantasmagoriques créés par Joséphine Sens. Présence absente évoquant l’univers des vanités, cet accessoire théâtral permet des métamorphoses rapides, faisant émerger du groupe de mystérieux interlocuteurs dont on ne sait s'ils sont humains, divins ou animaux.

Programmes de concert

Si ces musiques peuvent être données à entendre sous diverses formes, le concert reste cependant une occasion unique d’y goûter dans des conditions acoustiques favorables. La diversité du répertoire abordé appelle des effectifs variés, de 2 à 10 interprètes :

  • Duo ou trio | voix et viole de gambe, avec adjonction de clavecin ou théorbe 
    Pour des concerts intimistes à travers le répertoire du madrigal à voix seule et basse continue, et les prémices de la cantate : Domenico Belli, Claudio Saracini, Marc’Antonio Negri, Severo Bonini, Antonio Cifra, Alessandro Grandi, Barbara Strozzi...
  • Quintette vocal et basse continue
    C’est tout l’univers du madrigal polyphonique qui s’offre alors ! De Naples à Venise en passant par Rome et Florence, le madrigal à 5 voix est un passage obligé pour tous les compositeurs. Salomone Rossi, Heinrich Schütz, Girolamo Frescobaldi, Domenico Mazzocchi et tant d’autres ont confié aux cinq voix certaines de leurs plus belles pages.
  • Quatuor | 2 voix, viole de gambe, clavecin ou théorbe 
    Certains des madrigaux les plus audacieux de Monteverdi réclament deux voix égales et la basse continue. Cet effectif permet également d’aborder des dialogues ou scènes représentatives (Sigismondo d’India, Biagio Marini...) ou des scènes de l’opéra vénitien.
  • Ensemble mixte | 3 à 5 voix, 2 violons, basse continue 
    La musique instrumentale se développe en Italie en ce début de 17ème siècle et le violon s’impose alors comme un compagnon incontournable des voix qu’il reprend ou commente tour-à-tour, rivalisant avec elles d’expressivité et d’agilité. Cet effectif mixte offre la possibilité d’explorer le genre passionnant du madrigal concertato, développé à Venise autour de Monteverdi et quelques épigones originaux à l’instar de Francesco Turini ou Giovanni Valentini.

Pour le projet Peregrini, Les tritons réunis s’entourent de musiciens exigeants, déterminés à interroger les ressorts rhétoriques et esthétiques du répertoire baroque dont ils sont spécialistes. Ils font appel aux outils philologiques et musicologiques pour restituer les partitions et construire leurs propres interprétations.

Ateliers de conversation poétique

Le projet Peregrini s’est épanoui au travers de concerts-ateliers où une conversation est engagée avec le public, à partir d'une œuvre choisie ou d’un thème poétique. En effet, le répertoire du premier baroque italien, exigeant tant du fait de sa complexité musicale que des raffinements de sa poésie, appelle une médiation. Il s’agit d'amener le public à une posture d'écoute active et sensible aux enjeux poétiques ; l’oreille ainsi guidée peut alors goûter le déploiement du vers et du sens.

À la Maison des Langues et des Cultures d’Aubervilliers (93), Alice et Adrien ont proposé un premier cycle consacré aux « Larmes & Baisers » (2019-2020), puis un second intitulé « Discours au féminin » (2021-2022) qui a mis à l’honneur les stratégies d'argumentation déployées par les personnages féminins de l'opéra et de la cantate dans l’Italie du 17ème siècle. Ces discours mettent en scène une féminité bien plus complexe que ce que l’on pourrait d’abord penser. Les librettistes et compositeurs (et compositrices !) s’appliquent en effet à interroger la condition féminine à travers les héroïnes tragiques et figures mythologiques de la tradition classique.

De semblables ateliers peuvent être mis en place sur des thématiques variées pour donner lieu à des moments de réflexion et de partage esthétique. Et l’on découvrira ainsi que les compositeurs et librettistes baroques s’intéressent à des sujets décidément très actuels ! Afin d’encourager la participation au débat de chacun, une configuration non-frontale sera privilégiée : bibliothèques, salons de thé ou musées se prêtent ainsi fort bien à ces conversations poétiques et musicales.

Sirani allegoria della musica

Cabinet de curiosités numérique

Meubles équipés de tiroirs et cachettes nombreuses, ou pièces entières consacrées à l’exposition d’objets insolites et rares engendrés par l’homme ou par la nature, les cabinets de curiosité sont des espaces d’émerveillement pour le visiteur privilégié. Le recueil de madrigaux constitue en quelque sorte l’équivalent musical du cabinet de curiosité : il se présente en effet comme une collection plus ou moins organisée de miniatures autonomes.

Notre cabinet de curiosités numérique s’inscrit donc dans cette tradition baroque. Chaque item déploie un petit monde clos où l’image accueille la rencontre du son et du mot. En même temps qu’il donne à lire et comprendre le texte, faisant de la parole un objet graphique, le visuel (image fixe ou vidéo)  déploie des imaginaires contemporains autour des thématiques qui émergent des œuvres choisies. En effet, la relation de l’homme à la nature, les abus de pouvoir, la guerre ou encore l’introspection de nos émotions sont des sujets qui imprègnent déjà les œuvres baroques et continuent à passionner et diviser nos contemporains.

Dans cette même dynamique, les musiciens s’approprient le langage baroque : la musique est arrangée et réécrite avec l’adjonction d’instruments anachroniques voire électroniques, de manière à la libérer des préjugés esthétiques et lui redonner toute sa puissance rhétorique.